A la ligne. Feuillets d'usine


Catégorie : Livre
dates : 2023-09-07 -
Lieu :
Auteur : Alma BERGEAUD

A la ligne. Feuillets d'usine de Joseph Ponthus

 

Joeph Ponthus (1978-2021) est l’auteur du livre A la ligne, feuillets d’usine. Ce récit en vers libres a reçu entre autres le grand prix RTL-Lire et le prix Régine Deforges en 2019. Il s’agit d’un témoignage de l’expérience en tant qu’intérimaire du travail en usine.

La tradition de l’intellectuel qui s’engage dans un métier d’ouvrier afin de vivre dans sa chair l’aliénation par le travail et d’en témoigner est explorée par la philosophe Simone Weil. Elle s’engage chez Renaud ainsi que chez Alstom entre 1935 et 1937 et tient un Journal d’usine. En 1951, Albert Camus publie de manière posthume certaines parties du journal sous le titre La condition ouvrière dans sa collection « Espoir » des éditions Gallimard.

En 1967, le sociologue et philosophe Robert Lindhart s’engage comme ouvrier chez Citroën à la porte de Choisy. Il écrit L’établi. L’établi désigne à la fois la table de travail de l’ouvrier et le nom d’un mouvement d'intellectuels qui s’établissent dans des usines ou des docks. Le texte est publié en 1981 aux Éditions de Minuit.

On pourrait classer Joseph Ponthus dans ce mouvement : après des études en classe préparatoire littéraire il devient éducateur spécialisé. Il est passionné par la littérature. Et pourtant... ce sont les hasards de la vie et les contraintes du marché de l’emploi qui le mènent inévitablement à l’usine. Il quitte la région parisienne par amour et s’installe en Bretagne. Ne trouvant pas d’emploi dans son domaine, il s’engage à l’usine en tant qu’intérimaire. En cela il est davantage représentatif de la société française contemporaine que du mouvement des intellectuels engagés à l’usine, même si les observations tirées de ces expériences sont comparables.

De manière plus viscérale peut-être, c’est l’écriture qui permet à Joseph Ponthus de supporter, de tenir, d'accepter le rythme et l'environnement sensoriel de l'usine. L’écriture n’est plus le vecteur d’une démarche intellectuelle et militante mais elle est un acte de survie. Le récit en vers libre prend la forme d’un journal de bord très réaliste de la vie quotidienne dans des contextes différents. Sont décrits la condition intérimaire, l’organisation du travail, les rapports entre les ouvriers et la hiérarchie. Des scènes drôles et sarcastiques sont croquées sur le vif. Certains passages, plus intimes, sont des lettres adressées à la mère et à l’épouse du narrateur. C’est aussi un long poème épique qui dresse un parallèle entre l’usine et la guerre. Joseph Ponthus enfin rend hommage à des auteurs comme Guillaume Apollinaire ou Georges Perec et aussi à des chanteurs : Charles Trenet, Barbara, Vanessa Paradis. La ligne, c’est à la fois la ligne d’écriture et la ligne d’usine. Les deux activités s’entremêlent et se nourrissent mutuellement. De ce long poème narratif jaillissent la dureté, l’humour, la tendresse et la beauté. Voici un petit florilège de citations :

« J’écris comme je travaille

A la chaîne

A la ligne »

 

« Je sais que la première occurrence du mot crevette

est chez Rabelais

Cela me plaît et se raccorde aux relents gastriques

de l’usine »

 

« Il y a que je payerai cher demain ce texte écrit si

tard

[...]

 

Il y a mon mal de dos la fatigue la autant que la

joie

Il y a qu’il faut mettre ce point final

A la ligne

Il y a ce cadeau d’anniversaire que je finis de

t’écrire

Il y a qu’il n’y aura jamais

Même si je trouve un vrai travail

Si tant est que l’usine en soit un faux

Ce dont je doute

Il y a qu’il n’y aura jamais

De

Point final

A la ligne »

On ne peut que regretter le décès de l’auteur dont la carrière d'écrivain était naissante, ouverte et prometteuse.

 

Pour aller plus loin

https://www.youtube.com/watch?v=3vzxCHXNzAY

https://www.youtube.com/watch?v=mdUCOKW7PMg

 

A la ligne

Joseph Ponthus

Éditions La Table ronde, 2019

Pôle Littérature et langues | R PONT

 

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Un coup de coeur d'Alma
Publié le 07 /09/2023