Espace Jean Moulin - Carrière administrative

La carrière administrative de Jean Moulin

Montpellier: des premiers pas remarqués

Très jeune, Jean Moulin entretient une profonde passion pour la politique, sans doute encouragé par son père, Antoine Moulin, membre du parti radical. Sans affiliation politique, il milite à gauche dans les milieux étudiants. Élu vice-président de l’association générale des étudiants de Montpellier, il adhère aux Jeunesses Laïques et Républicaines, de tendance radicale-socialiste.

Préfecture de l'Hérault-MontpellierPréfecture de l'Hérault-Montpellier

En 1914, alors étudiant en droit à l'université de Montpellier, il entre sur recommandation de son père au cabinet du préfet de l'Hérault. Durant ses quatre ans de service il donne « des preuves de dévouement, d'activité, de tact et d'un esprit politique avisé […] Fera assurément un bon sous-préfet, dès que ses études de droit seront terminées1. »
En 1921 il obtient une licence de droit et s’engage dans une carrière de haut-fonctionnaire.

1Extrait d'une note d'Henri Lacombe, préfet de l'Hérault (juillet 1921)

Chambéry : début dans la carrière

Par l'intermédiaire de Maurice Mounier, nommé préfet de Savoie, ancien secrétaire général à la préfecture de l'Hérault, Jean Moulin devient chef de cabinet le 6 février 1922 et poursuit son apprentissage du métier. Par ce nouveau poste, il achève d’acquérir la connaissance des mécanismes de l’administration territoriale.

Dès 1925, il aspire à plus de responsabilités et exprime son désir d'avancement. Pendant que son son père, Antoine Moulin, élu à l'assemblée départementale active quelques relations parmi les parlementaires pour que son fils intègre un poste vacant dans l'Hérault, le préfet de Savoie appuie auprès du ministère sa demande d'avancement. C'est ainsi qu'il devient sous-préfet d'Albertville le 26 octobre 1925 suite à un rapport élogieux de l'administration : « d’une intelligence très développée et d’un esprit ouvert et averti. Possède un jugement très sûr et supérieur aux hommes de son âge. Valeur professionnelle : excellente. Caractère : droit et sûr. Très bien considéré dans un pays de relations difficiles. Antécédents politiques : fils d’un républicain éprouvé, lui-même très sûr. Valeur morale : absolue. »2

2Appréciations établies par Maurice Mounier, préfet de Savoie (1925)

Albertville : plus jeune sous-préfet de France

Jean Moulin sous-préfet d'Alberville 1928Jean Moulin sous-préfet d'Alberville 1928

Les archives présentent un sous-préfet très actif qui participe au désenclavement des vallées du canton et qui se consacre à l'éclosion de stations hivernales. Il ouvre son discours de prise de fonction par ces mots : « Ce qui comptera toujours pour moi, et au premier chef de mon rôle de sous-préfet ici en Savoie, c’est l’accès de tous à la chose publique, l’égalité des chances, de quelque milieu que l’on vienne… » De par sa fonction, il préside de nombreuses inaugurations de monuments aux morts de la Grande Guerre, de routes et de ponts qui permettent de désenclaver les communes de certaines vallées savoyardes.

C’est à cette période qu’il découvre la vie mondaine et noue de nouvelles amitiés, notamment avec Pierre Cot, futur député radical-socialiste de Savoie et passionné comme lui de montagne et de ski. Les deux hommes partagent l’idée d’un programme politique libéral reposant sur des réformes sociales . Cette rencontre est déterminante et influence grandement sa carrière.

Ambitieux et conscient de sa valeur d’administrateur, il sollicite dès 1928 des amis et des parlementaires héraultais en vue d’une mutation. C’est ainsi que Charles Daniélou, ministre de la Marine marchande, soutient sa candidature pour un poste dans le Finistère à Châteaulin.

Châteaulin : la vie bretonne

Jean Moulin s’installe en février 1930 à Châteaulin où il est promu sous-préfet de 2ème classe.

L’arrondissement de Châteaulin, qui compte 115 000 habitants répartis en 62 communes, est peu mouvementé et le jeune sous-préfet n’est pas bousculé par le travail qui « ne l’absorbe que quelques heures par jour ».

Jean Moulin lors d'une inauguration en BretagneJean Moulin lors d'une inauguration en Bretagne

Ce séjour breton marque un tournant dans sa vie artistique où il débute une collection de tableaux et commence à dessiner sous le pseudonyme de Romanin. À travers ses dessins, il dénonce les travers du monde politique, dans un contexte de la montée des nationalismes en Europe. Il côtoie les milieux intellectuels locaux et se lie d’amitié avec le peintre Lionel Floch, les poètes Max Jacob et Tristan Corbière.

Toutefois, ce tournant artistique n’altère en rien son travail d’administrateur. En 1932, lors des élections législatives, il soutient la candidature de Charles Daniélou qui est devenu son ami. Ce soutien déplaît fortement à André Tardieu, alors Président du Conseil qui a pris position contre Charles Daniélou. Il est alors convoqué par le ministre de l’Intérieur et retenu à Paris entre les deux tours des élections.

Pendant un mois (18 décembre 1932 – 28 janvier 1933), avec l’accord de Charles Daniélou, il est nommé chef-adjoint du cabinet ministériel de son ami Pierre Cot, alors Sous-Secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Cette nouvelle activité lui offre l’occasion de s’immiscer plus amplement dans la vie de la politique nationale.

Après la chute du ministère, il retrouve son poste à Châteaulin jusqu’en mai 1933 où il est muté à Thonon-les-Bains.

Thonon-les-Bains : retour dans les Alpes

Buste de Jean Moulin à ThononBuste de Jean Moulin à Thonon

En juin 1933 Jean Moulin fait son retour dans les Alpes à Thonon-les-Bains, toujours en tant que sous-préfet. Son arrivée est annoncée dans un hebdomadaire local : « M. Moulin nous arrive précédé d’une excellente réputation. À Chambéry, où il fut sous-préfet durant plusieurs années, M. Moulin a laissé le meilleur souvenir »3

En parallèle, il devient chef de cabinet de Pierre Cot au ministère de l’Air en octobre 1933. Le 19 janvier 1934, il est nommé sous-préfet de 1ère classe à Montargis sans toutefois occuper cette fonction, préférant demeurer au cabinet de Pierre Cot

Le 7 février 1934, suite à la crise du 6 février4, Pierre Cot et Jean Moulin quittent le ministère de l'Air et se retrouvent à Thonon-les-Bains.

Son séjour dans la capitale du Chablais est court, à peine huit mois, et laisse peu de souvenirs marquants.

3Article dans L’Écho du Léman le 27 mai 1933
4Le 6 février 1934, une manifestation antiparlementaire organisée à Paris par des groupes de droite et d’extrême droite pour protester contre le limogeage du préfet de police Jean Chiappe à la suite de l’affaire Stavisky tourne à l’émeute et fait 19 victimes ainsi que 2 000 blessés.

Amiens : secrétaire général de la préfecture de la Somme

Jean Moulin et Maryse Bastié au ministère de l'Air 1937Jean Moulin et Maryse Bastié au ministère de l'Air 1937

En mai 1934, Jean Moulin est nommé secrétaire général de la préfecture de la Somme et supplée aux carences de son préfet André Jozon dont la santé est fragile. C’est pour lui l’occasion de faire l’apprentissage de son futur rôle de préfet.

Cette période de grande effervescence sociale lui permet de montrer son côté conciliateur, grande qualité qui l’aide à régler de nombreux conflits ouvriers.

Il est rappelé par Pierre Cot au ministère de l’Air du Front populaire en 1936 bien que toujours officiellement secrétaire général de la Somme.

Rodez : plus jeune préfet de France

Jean Moulin préfet de l'Aveyron avec les conseillers départementauxJean Moulin préfet de l'Aveyron avec les conseillers départementaux

À 38 ans, Jean Moulin devient en 1937 le plus jeune préfet de France. Après un passage éclair à Rodez, il est placé hors cadre et reprend son poste de de chef de cabinet au ministère de l’Air pour quelques mois avant de suivre Pierre Cot au ministère du Commerce pendant 80 jours en 1938. Suite à ces intermèdes ministériels, il est nommé préfet de l’Aveyron.

Fin 1938, il se positionne pour le poste de préfet d’Eure-et-Loire.

Chartres : préfet d’Eure-et-Loire

Portrait Jean Moulin à ChartresPortrait Jean Moulin à Chartres

Nommé préfet d’Eure-et-Loire en janvier 1939 et conscient que la guerre est proche, Jean Moulin organise la défense passive du département et fait éditer une brochure intitulée « Que faire en cas d’attaques aériennes ? ».

Il doit rapidement faire face aux hostilités des Allemands. En juin 1940, alors que la ville ne compte plus que  700 à 800 habitants sur 23 000, il s’efforce de faire face aux problèmes causés par la guerre (ravitaillement, soins aux blessés…)

Le 17 juin, il est arrêté et conduit devant des officiers nazis qui exigent qu’il signe un « protocole » établissant que des soldats noirs de l’armée française ont commis des atrocités contre des femmes et des enfants à la gare de La Taye. Refusant de signer, il est enfermé dans le pavillon du concierge de l’hôpital et tente de se suicider en se tranchant la gorge.

Révoqué par le régime de Vichy, sa carrière administrative prend fin le 2 novembre 1940 et il commence l’écriture de son journal Premier Combat dans lequel il évoque sa résistance contre l’Allemagne nazie à Chartres avant de rejoindre la France Libre à Londres en septembre 1941.